3.
CAR J'HABITE UNE CHAMBRE AUX PORCELAINES, un palais
dur et brillant où l'Imaginaire se plaît. Ceci n'est pas un symbole, ni jeu de
mots. Plus tard aurai-je le désir de les peser avant de les écrire. Dès
longtemps je posais tout ce que vaut ceci : un Palais Imaginaire. Et non pas que
ce qui m'entoure soit impalpable et tramé de raclures de pensée ruminée... Et
non pas que les formes changent, bien que les couleurs s'irisent dans un air
sans volume ! Mais tout est fait, dans ma chambre aux porcelaines, tout est fait
de matière substanciée, de belle et positive matière délitée, broyée, mouillée
et pétrie,
puis durcie dans des panses et des rondeurs et des galbes que l'on peut briser
en miettes, mais non pas déformer, Et les gestes, rares dans ce lieu peu
hospitalier, occupent cependant les recoins lacunaires de ces appartements,
ayant fait l'expertise des creux et des reliefs. C'est avant tout une chambre
close et réfractaire, un abri bien protégé, revêtu de la sœur minérale du
plus
aigre des métaux, l'acier : — la porcelaine.
Cette chambre, pourtant, n'est pas si close que
jusqu'ici ne soient venus se glisser des scrupules, et le doute tortilleux avec
sa portée de vipéraux... Si tout cet attirail de couleurs transparentes a sa
valeur d'exister, ou non... Si quelque geste, brutalement assené dans la réalité
des gestes et des jours ne vaut pas toute longue méditation... Doutes seulement.
De mauvais doutes, qu'il faut bien tuer à l'usage... Ou peut–être déclarer
d'avance victorieux ? —Et ce dernier est le pire de tous.
C'est pour en finir avec cela et l'emprise du bon
gros Réel, que je me dépars ainsi de ce pays peuplé de couleurs immobiles et des
seules musiques. Plus tard, revenu dans ma maison luisante, je songerai sans
doutes, alors, qu'immobile, j'ai acquis mes droits au non–agir, si ce
n'est au
fond de moi ; et que, méditant, imaginant, j'ai payé de mes muscles ce repos
intérieur, cet enfermé d'où les scrupules d'un dehors savoureux possible me
chassent.
Ceci de neuf est le but à ma prochaine agitation :
la
même
chambre aux Porcelaines, mais acquise et conquise par elle, à
jamais. Je pars et m'agite dans l'espoir seulement du retour enrichi. Les
mules,
les chars, les chevaux et les hommes de bât auront moins pour moi de valeur à
passer les montagnes, qu'à me passer par-dessus ce col rocailleux : si le Réel
avait aussi sa valeur verbale et son goût ?
> TOUT EST PRÊT, MAIS AI-JE BIEN LE DROIT de partir ?
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