27.
L'AMI TROP FIDÈLE est celui–là qui au retour, au
départ, est encore debout sur la même place, dam le même visage et des yeux que
je cherchais de loin, et craignant de ne pas reconnaître, — et que j'ai
reconnu
sans ambages tout aussitôt. — Il m'a crié : "Tiens, tu n'as pas
changé..." ; et
comme je le regardais avec l’œil lourd du voyage mécanique et rouge
du poussier
de charbon, il a cru à de l'étonnement ou de la crainte, et a ajouté rassurant :
"Je n'ai pas changé non plus !"
C'est bien là ce que je craignais ! Je m'explique
maintenant cette prémonition douloureuse, cette angoisse constante du retour
mené jusqu'à sa fin, et dont je redoutais toujours l'explosion... Que
faudra–t–il dire à l'arrivée ? Faudra-t-il cacher mon étonnement ou
mon dépit !
— Le visage vu de loin est pour quelques secondes à peine entrevu comme
un objet
d'expertise, de claire vue, de lucidité..., le moment du retrouver est ambigu et
aigu. Ce visage, autrefois familier, est ici aperçu avec toute la nervosité
neuve et tendue par tant de choses acceptées... Pendant l'éclat du premier coup
d’œil, avant que les paupières n'aient cligné, je vois franchement
ce que je ne
savais plus depuis longtemps regarder sans habitude, sans amitié. Cette fois,
l'imaginaire se faisait douteux... et me menait bel et bien vers le réel de ce
moment prévu. La déception. L'escompté.
Ainsi, il n'a pas changé, lui... Ainsi, onze ou
douze mois, trois cents et quelques jours, des heures, et plus que tout cela,
deux ou trois moments impérissables ont passé peut-être sur lui, sans le toucher
davantage ? sans le marquer ? sans descendre assez au fond de sa vie pour que sa
dépouille vivante n'accuse point le déformé ou la révélation ! — Ainsi,
mes
lettres qui lui venaient de si loin, pleines d'espace et de terrain conquis, et
mes recherches, et les desseins avortés, les désirs aussi dont il prenait sa
part, en me répondant mot pour mot, — ceci n'a donc pas persisté, et a
passé sur
lui sans l'émouvoir ? Qu'a-t-il fait ? Je sais, d'autre part, que le sort ne l'a
pas épargné. Il a vu tomber de haut ce qu'il croyait tenir et posséder. Il a vu
s'évaporer des réalités provisoires et personnelles. Tout ceci qui s'est abattu
sur lui est donc vain ?
Il n'a pas changé ? Il ment. Cet œil gras, ce menton
et cette voix. Maigre et défait du voyage, je suis étonné par son poids. C'est
moi qui devant lui demeure timide. Je réponds en écho bien appris :
— Oui, tu es toujours le même.
Il m’accepte alors, et m'emmène, satisfait.
> POUR CONCLURE...
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