15.
LE LONG SÉJOUR IMMOBILE, l'escale grise et que
j'imaginais rembourrée d'un or bien cotonneux, chaud après le froid, moelleux
après l'âpre et l'aigre... C’est, de toutes, la plus désolante déception
; la
seule complète. S'arrêter quand on sait qu'il faudra repartir ; déballer ses
coffres dans le provisoire afin de laisser souffler les chevaux ; perdre
l'impulsion quotidienne de la route, qui finit par être nécessaire autant que le
flot et le jusant aux vers ambulants de la plage... Ceci est un désappointement
qui noie sous une grande fatigue, d'autant plus lourde qu'elle naît dans le
repos.
C'est ainsi, que le fleuve charrieur, tant qu’il est
maintenu entre deux hautes berges, ayant fait sa route à travers les gorges,
arrivant à l'embouchure, s'alentit, s'alourdit, s'évase et s'envase. Alors, dans
les eaux largement immobiles, les troubles alourdis par le repos descendent au
fond, avec leur bon goût de terre, leurs gravats et les relents qu'ils charrient
; avec leurs paillettes aux cillements d'or ; les troubles déposent,
enrichissant les hauts-fonds sans profit. C'est alors que le fleuve se purifie,
semble-t-il. Non. Le fleuve est mort, s'étant vomi dans la vaste saumure.
Ainsi, le torrent des heures du voyage quand il
dévale et, débouche, très alenti, à l'escale longue (et qui n'est pas le but)
s'amortit et se disperse dans l'ennui. Il se clarifie et s'épure. Il s'aveulit.
Ne pas repartir demain ? Ce soir, ne pas avoir fait de route ? La journée est
opaque et embuée, grise et vide, — perdue. Ne pas sentir dans les reins
ce poids
mensurable
de cent li parcourus avec
entrain ! Ce n'est plus la fatigue achetée au jeu des muscles, mais l'illusion
quotidienne, un accablement sans cause et sans vigueur, qui ne permet aucun
espoir de sommeil et n'espère aucun réveil.
> UNE CHAIR GLORIEUSE ! un corps d'élu !
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